CETTE FOUTUE RIDE DU LION


Hier, comme presque toutes les 3 semaines, j'ai pris mes ciseaux pour ratiboiser ma frange. Depuis de nombreuses années, je pense depuis que je porte la frange, j'ai appris à la couper seule pour ne pas aller chez le coiffeur tous les mois et ne pas dilapider mes économies en brushing. Gain d'argent, gain de temps, et je suis à peu près sûre de ne pas être déçue. En y réfléchissant bien, je pense même ne jamais m'être ratée en coupant mon petit carré de cheveux sur le front (vite vite toucher du bois !).
Hier matin, donc, c'était le moment de mon coup de ciseaux mensuel. Cette fois-ci, je décide même de la couper un peu plus court que d'habitude. La longueur de ma frange dépend beaucoup de mes humeurs, et puis en ce moment, avec le froid et les bonnets, je déteste quand elle est écrasée devant mes yeux, je prends donc un peu d'avance en gagnant quelques millimètres sur la coupe habituelle. Je découpe bien droit, j'ajuste, je brosse et je laisse sécher mes cheveux. Et puis, en y regardant de plus près, je remarque encore cette foutue ride du lion qui me barre le front. Bon, elle n'est pas nouvelle, elle est déjà installée depuis de nombreuses années. Fait assez étonnant si on prend en compte le fait que j'ai l'air d'avoir 18ans, des joues rebondies, et un visage lisse de bébé joufflu.
Mais cette ride du lion, j'ai l'impression qu'elle a toujours été là. Sauf que aujourd'hui, j'ai comme l'impression qu'elle a à nouveau creusé plus profondément son sillon sur mon visage. Franchement, j'aurais bien échangé des petites rides du coin des yeux contre cette grosse ridule qui traverse mon front. Depuis, j'ai la sensation de ne voir qu'elle, dès que je croise mon reflet dans le miroir, je ne peux pas m'empêcher de soulever légèrement mes cheveux, de m'approcher de mon double et d'admirer péniblement ce front rarement aussi présent dans mon esprit.
Et puis finalement, à bien y réfléchir, il est plutôt logique que j'en sois pourvu. Non pas que je passe mon temps à rugir, je ne suis pas du style à élever la voix. Et puis, ça ne serait pas logique, la bouche est quand même assez loin du front. Non, la ride du Lion (je n'ai pas encore trouvé le lien avec le roi de la savane), c'est la ride qui se creuse quand on rapproche ses deux sourcils parce que quelque chose nous parait étrange, nous surprend et surtout nous inquiète. Tiens donc ! C'est que je ne suis pas inquiète, non je suis du genre très très inquiète. Mais attention une inquiète qui se soigne !
Mais malgré tout, j'ai été marqué par ces nombreuses années à m'inquiéter de tout et de rien, de moi, des autres, de la Terre entière... J'ai longtemps souffert du syndrome de Superman (Superwoman dans mon cas), j'avais cette envie de sauver le monde entier, que les problèmes des autres étaient les miens, mon empathie était ma pire ennemie. Et puis, l'âge m'a apporté cette sagesse que l'on dénigre à l'adolescence et j'ai appris que mes épaules n'étaient pas assez grand pour tous les malheurs du monde. J'ai appris à laisser de côté certains chagrins, à choisir mes batailles et surtout que finalement rien n'a vraiment d'importance, un train en retard, une mauvaise nouvelle aux infos, un verre que l'on casse, quelqu'un qui nous bouscule.... Je ne dis pas que je ne m'énerve pas (vous me verriez au volant d'une voiture...) mais la colère ne prends pas racine en moi, elle passe, elle explose parfois puis elle s'en va sans laisser de trace la plupart du temps. Mais j'aurais beau lutter, cette ride est bien installée, je resterai la lionne marquée par sa savane et c'est ainsi.
Et puis en fait, en observant de plus près mon visage lisse, j'ai aussi remarqué deux petites ridules plus récentes au coin des lèvres. Elles, elles sont nouvelles, elles sont presque belles, elle souligne mon sourire timide quand il me dit que je suis belle, mes éclats de rire autour d’un verre le soir, mes éclats de voix lors des débats animés aux repas de famille... et finalement, je me rends compte qu'elles devraient prendre bien plus de place dans mon esprit, quand je regarde ce visage rond dans le miroir.

Commentaires